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Les Slashers : un phénomène qui interroge notre modèle social au lieu de subir l'ubérisation du travail

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Si vous ne connaissez pas le terme « slasher », ne cherchez pas sur Google : nous ne parlerons pas ici du genre cinématographique où les méchants s’amusent à couper les gentils en petits morceaux ! Le terme slasher est aussi un anglicisme désignant ces actifs qui cumulent deux activités professionnelles, voire plus : ils sont agent administratif « slash » agriculteur, ébéniste / serveur, consultant marketing / entrepreneur… Et selon une étude réalisée pour le Salon des micro-entreprises en août 2016, ils sont de plus en plus nombreux : 16% de la population active entrerait dans cette catégorie juridique de « pluriactifs », soit 4 millions de français. Focus sur une tendance de fond, plus prégnante chez les moins de 30 ans, qui se développe tant par contrainte que par choix, lors de la conférence organisée par la Commission Innovation Sociale d’inovallée.
« Si le phénomène de la pluriactivité n’est pas nouveau, présent depuis longtemps dans le secteur de l’agriculture, des saisonniers et des intermittents, la recherche sur ce sujet est, quant à elle, émergente », explique en préambule l’intervenant de cette conférence, Thibault Daudigeos, professeur associé au Département Hommes, Organisations et Société, et responsable de l’équipe de recherche AFMO – Alternatives Forms of Markets and Organizations, à Grenoble École de Management. Mais la nouveauté réside surtout dans l’amplification rapide du phénomène en France, qui a vu son nombre multiplié par deux en 5 ans. Etrangement, le terme de slasher, apparu en France en 2007, n’est pas utilisé aux Etats-Unis, où on parle de Potfolio careers, Zero hour contracts, Moonlighting ou encore Hobby work. Car si le phénomène y est plus ancré, il génère outre-Atlantique bien moins de tensions.

Qui est concerné par le phénomène des slashers ?

De nombreuses thèses sur les générations Y, ou milléniums, sont évoquées, mettant en avant la tendance au zapping des jeunes. Pour autant, Thibault Daudigeos reste relativement sceptique sur ces causes et croit davantage à d’autres drivers :

  • Des driver technologiques avec la généralisation d’internet et des NTIC qui permettent de séquencer le travail dans un même espace.
  • De nouveaux régimes juridiques, comme le statut d’autoentrepreneur notamment, qui favorisent cette explosion.
  • L’émergence des plateformes, ces sites communautaires qui favorisent la rencontre entre l’offre et la demande (AirBnB, Uber, etc.).
  • De nouveaux modèles d’organisation : au lieu d’être manager, vous êtes gestionnaire de prestataires, ce qui change beaucoup la relation managériale.

De ceux qui cumulent les petits boulots pour joindre les deux bouts, aux cadres qui testent une activité dans une logique d’amorçage, le phénomène des slashers présente des réalités bien différentes. On distingue néanmoins 3 cas de figure :

  • Salarié(e) + salarié(e)
  • Salarié(e) + indépendant(e)
  • Indépendant(e) + indépendant(e) = serial entrepreneurs

Devenir slasher : une situation subie ou un véritable choix de vie ?

Cette tendance sociétale pourrait être inquiétante si la majorité des slashers subissait cette pluriactivité. Or, si certains sont devenus slashers par contrainte pour s’assurer un complément de revenus, l’étude montre que 25% d’entre eux ont choisi pleinement cette situation pour vivre de leurs aspirations et faire une activité qui leur plaît. La majorité de ces pluriactifs construiraient en effet leur vie professionnelle à la carte, bouderaient volontairement le CDI pour fuir la hiérarchie établie du monde du travail, ou éviter de s’ennuyer dans une seule activité. Et c’est d’ailleurs ce que semblent confirmer les slashers venus témoigner lors de cette conférence.

L’obsolescence programmée du travail à temps plein ?

Aujourd’hui, Isabelle travaille à la mairie de Revel à mi-temps. L’autre moitié de son temps, elle travaille à la ferme et fabrique des glaces. Cela fait maintenant 5 ans qu’elle fonctionne ainsi et elle se dit épanouie : « Ces deux jobs m’apportent beaucoup et nourrissent les 2 aspects de ma personnalité, intellectuel et manuel. J’ai commencé à travailler à temps plein dans une grosse administration et les premières années de ma vie professionnelle ont été dictées par la contrainte : j’ai eu un enfant et il a été difficile de me recaser sur le marché du travail. Un poste d’Assistante administrative s’est ouvert dans la mairie de mon village et j’ai été embauchée à mi-temps. J’ai appris en parallèle que l’agricultrice de Revel cherchait quelqu’un pour l’aider quelques heures et j’ai saisi l’opportunité. Je n’ai pas d’effet de lassitude grâce à mes deux métiers et je pourrais difficilement m’imaginer aujourd’hui revenir à un temps plein dans une même structure… Ou il faudrait que le poste soit très complet ! ».
Enrichissements mutuels entre deux métiers différents, décloisonnement, expertise plus proche des réalités du terrain, appropriation d’autres compétences… Pour Guillaume, « biberonné au CDI à temps plein » avant de connaître un licenciement du jour au lendemain, être slasher est aujourd’hui un véritable choix. « Vivre un licenciement est une expérience très rude à laquelle je n’étais pas préparé. Je ne veux plus revivre cette situation : avoir plusieurs employeurs me sécurise. Je viens de connaître à nouveau un plan de licenciement, je reconstruis actuellement mon deuxième mi-temps, mais je ne suis pas dans le même schéma mental car il me reste au moins un mi-temps… Pour moi, le CDI temps plein est une verrue qui n’existait pas il y a 50 ans. C’est un vrai sujet de société : quelle société veut-on pour demain ? Mais je suis plein d’espoir car les mentalités évoluent très vite. Il est nécessaire d’accompagner les chefs d’entreprise pour qu’ils acceptent ces formes de travail qui sont, à mon avis, l’avenir. Ce n’est pas parce que les slashers ne sont là que quelques jours par semaine qu’ils ne sont pas impliqués, bien au contraire ! Il est temps de revenir à l’épanouissement au travail. Et ce chemin appartient à l’individu car la société actuelle n’accompagne pas ce type de changement. »

Identification et renouvellement des compétences : un enjeu fort !

Thibault Daudigeos le confirme, il reste énormément de choses à faire pour accompagner les entreprises dans ces changements de paradigme. Il identifie aujourd’hui 3 facteurs clés :

  • De plus en plus de salariés peuvent valoriser des compétences. Mais comment les aider à bien identifier ces compétences et à les faire circuler dans l’entreprise ?
  • Une autre question se pose avec la pluriactivité : quid du renouvellement des compétences ? Quand on est en CDI, l’entreprise porte le projet de faire évoluer le salarié. Mais quand vous êtes slasher, la responsabilité de faire évoluer vos compétences, c’est vous-même qui la portez !
  • Et enfin la spécialisation vs la complémentarité entre activités. Si on considérait historiquement que la spécialisation amène l’efficacité, lorsque l’on a deux métiers, une activité va nourrir l’autre, mais comment accompagner les slahers pour créer des liens entre les différentes activités ?

Accompagner ce phénomène de société pour qu’il devienne source de richesse

Victimes des avancées technologiques, le travail salarié traditionnel est, si ce n’est menacé, en plein bouleversement. La robotisation va toucher le tertiaire et les compétences intellectuelles. Une évolution est en marche, et nous aurons de moins en moins d’actifs occupés pour créer ces services. Quel que soit notre travail aujourd’hui, il ne fait pas de doute que sa nature va être profondément transformée au cours des décennies à venir. Aux Etats-Unis ou en Allemagne, le choix a été de dégrader les conditions d’accès au travail. En France, on a choisi de protéger le travail, mais au final, cela créé une sorte de crispation qui est différente, mais bien réelle. Alors plutôt que de résister à cette ubérisation du travail, il va devenir urgent d’accompagner ce phénomène de société inéluctable. Thibault Daudigeos a repéré là-encore 3 points clés :
Socialisation : Le travail est bien souvent facteur d’identité, de socialisation. Avec le phénomène des slashers se pose la question du collectif de travail : où trouver un collectif dans lequel se retrouver ? De nouveaux espaces de socialisation se créent, comme le coworking notamment, mais est-ce suffisant ? Il est nécessaire de réfléchir à des services mutualisés, à de nouvelles formes d’accompagnement, non hiérarchiques, à mettre en place : pourquoi pas des coachs qui seraient là, sans lien de subordination, pour bien accompagner ces activités ?
Protection : quelle protection sociale apposer à ces nouvelles formes de travail pour éviter la précarisation ? Avant, c’était le collectif qui permettait d’apporter cette protection, mais demain ?
Work life balance : quand l’emploi passionne, il est difficile de se limiter à 35h. Donc lorsqu’on cumule 2 jobs, comment se gère le temps de travail ? Comment protéger du temps qui est autre et trouver l’équilibre vie privée / vie professionnelle ?
Cet atelier, très enrichissant par les éclairages apportés à la fois par l’intervenant, les témoignages des slashers, mais aussi les apports de chaque participant, a posé de nombreuses interrogations sur le cadre juridique à imaginer, l’espace qui permettra d’avancer et les formes de pilotage à mettre en œuvre. Une chose est sûre, c’est qu’il nous appartient à tous, individus et entreprises, d’inventer et de co-construire le modèle social de demain…

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